Steppe by Steppe
Je passe une journée tranquille a Kostanaj. Un peu de lessive, un peu de blog, un peu de repos, et un peu de vodka, pas trop.
Stas gère un magasin d'articles de pêche et de chasse, il répare et revend des motos. Toujours occupé, il vit à 200 km/h (au propre et au figuré). Ce rythme dont j ai été familier n'est plus le mien. Tout s'enchaîne à une vitesse (trop) fulgurante. j ai parfois du mal à suivre même si je lui suis gré de tout ce qu'il fait pour moi
Je repars pour Astana. Grosse étape. 700 km. Mais sur une route correcte. seulement 100 km off road debout sur la moto. Vers midi je cherche un coin d'ombre pour boire un coup d'eau. Je trouve un arbre (ils sont trés rares) dans le parking d'une entreprise de semences au bord de la route, je mets la béquille.
Le directeur sort, vient vers moi. "Franza, mongolia, kitaille (chine)". Il me regarde avec des yeux comme des soucoupes. Coup de fil, tous les cadres de la boite sortent du bâtiment. On m'emmène à l'intérieur, on m assoit presque de force dans le self ou mangent tous les employé(e)s.
Tout le monde se tait. les plats défilent devant mon assiette. C'est tout juste si le directeur ne me fait pas manger à la petite cuillère sous l'oeil émerveillé du personnel.
En repartant travailler chaque employé vient me serrer la main. je suis touché par toute cette gentillesse
J'arrive a Astana.
Jusque là, je n'ai rien fait pour trouver des motards. En fait je n'en suis pas un. Je ne suis venu que tardivement à la moto, je n' ai jamais fait partie d'une bande et n'en ferai vraisemblablement jamais partie. Paradoxalement, pour tous ces vrais motards que je croise, mon voyage représente le fantasme absolu du Rider. Je suis à leurs yeux "Le Motard". Non non les gars, il y a supercherie...Le silence qui m'est imposé du fait de la non maîtrise de la langue, renforce encore cette image. J'ai beau ne pas vouloir rentrer dans ce personnage, c'est celui qu ils veulent voir. S'ils savaient....
Pour la première fois je provoque la rencontre. A Astana, je téléphone au président du biker club. Dima. La prochaine fois je laisserai le hasard faire son oeuvre, il s'en sort mieux que moi et je commence à avoir plus confiance en lui qu'en mes décisions. Les bikers d Astana (la capitale) sont d un autre genre. Une équipe fortunée et ventripotente arrive petit a petit sur des harley Davidson étincelantes de 1400 centimètres cube. C'est à celui qui aura la plus grosse. Ma petite 6 et demi crasseuse (pas de méprise, nous parlons bien de moto...) fait un peu pitié. Nous allumons les moteurs, et partons en quête d' un hébergement. Concours de décibels, d'accélérations foudroyantes. je ne tombe pas dans le piège. "eh les mecs, on se calme ! j ai un disque d embrayage qui doit vivre encore un peu"...Par ailleurs, (message pour Didier) l'absence de calorstat (que j'ai gardé en réserve dans mes affaires) ne pose pas de problème lorsque la moto a de la vitesse et donc de l'air, mais la circulation urbaine ne lui convient pas et elle chauffe. je commence à redouter le sable mou mongol. Didier, si tu penses à quelque chose, ne te prive pas de me le dire...
Ils m'aident à trouver un hôtel raisonnable. je les déçois sûrement en refusant les plus beaux hôtels de la ville. Douche rapide et ils m'emmènent dans un resto branché de la capitale Kazack. Le parking est plein de voitures profilées comme des boites de cigares, 4x4 de luxe, moto d'apparat. L'intérieur est bruyant, impersonnel, sûrement très bien pour tourner un clip mais pas pour créer des liens. Pendant que des créatures de rêves ondulent sur les écrans plats géants qui nous entourent, je tente d échanger. Peine perdue. Ils sont absents, les yeux vides, blasés de tout, dévorés par leurs téléphones portables ou vampirisés par les écrans. Je fais silence, j'ai un peu l'habitude. J'observe. Je les devine. J'aimerais leur donner un peu de cette fraîcheur que le voyage me transmet. Ils m'attendrissent. je n ai pas la clef. j'essaie seulement d être présent.
Le lendemain Vova, avant de me mettre sur la route de Pavlodar, me fait visiter Astana. C est une ville nouvelle, remplaçant l' ancienne capitale Almaty, trop excentrée. Parc Walt Disney géant au milieu de la steppe. Pâtisserie multicolore posée dans le désert. Les architectes japonais s'en sont donnés à coeur joie.
Je prends un raccourci de 200 km à travers la steppe pour éviter le crochet par Karaganday. Que c'est beau....Chaque piste qui part sur le côté est une tentation, une invitation au mystère de la dune suivante...
A Pavlodar, Paul me repère du haut de sa Kawazaki 900. Il parle allemand. Après la seconde guerre mondiale, beaucoup d allemands chassés ou fuyant l'URSS sont venus s'installer dans le nord du Kazakhstan. Victor nous rejoint. Quelques bières plus tard, me voila installé dans une sorte de gîte de centre ville. Cuisine, séjour, salon...
Je passe la soirée de mercredi seul. Je cuve tous mes souvenirs. Je pense à Marius le roumain, au jeune Sacha de Bolgrad, à Ivan l'Ukrainien, au vieux soldat tchétchène dont le regard me hante, à Gennadi le Kazack (prononcer Genadze), à Vova l'électronicien, à Stas, l'homme pressé, à Vova d'Astana, qui garde une petite étincelle dans le regard. La gratitude me submerge, ...
Jeudi matin il pleut averse. Je garde un souvenir mitigé de ma traversée de l'Italie sous la pluie. Je ne sais par quel prodige, malgré ma combine, l'eau finit tôt ou tard dans ma culotte et ce que je gagne en hygiène intime est immédiatement perdu en confort. Je décide de m'accorder une grasse mat et de rester un jour de plus.